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Extrême droite, fascisme et autres idéologies réactionnaires : et l’écologie dans tout ça ?

CELL / Author name

15 min de lecture

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19 décembre 2024

Extrême droite, fascisme et autres idéologies réactionnaires : et l’écologie dans tout ça ?

Partout dans le monde, nous observons une montée des partis d’extrême droite. Aussi ici au Luxembourg, selon le dernier Politmonitor1, ce développement est l’une des principales préoccupations des résident·es luxembourgeois·es. Et elle va de pair avec la libération de la parole haineuse et discriminante, l’expansion des idées réactionnaires et autoritaires, la banalisation de la crise climatique, etc. Cela nous inquiète, parce que pour affronter les polycrises, nous avons besoin d’unité, de force et de connexion entre êtres vivants. Quels sont les impacts des extrêmes droites sur l’écologie et l’action climatique ? La transition écologique peut-elle se faire sans être juste, sans prendre en compte les populations marginalisées ?

De quoi parlons-nous ?

Il y a une profusion de termes pour désigner l’extrême droite : identitaires, populistes, fascistes, post-fascistes, néo-conservateurs, droite radicale, etc. En 1966, le politologue néerlandais Cas Mudde recensait 58 manières différentes de définir les extrêmes droites. Elles se rassemblent sur l’autoritarisme et le « nativisme », un mélange de nationalisme et de xénophobie. La distinction qui peut être faite est entre celles qui se placent hors du cadre institutionnel et celles en rupture avec les valeurs démocratiques mais qui jouent le jeu parlementaire. Tout le contenu de leurs programmes- droit des femmes, écologie, droits sociaux – passe sous le prisme de la préférence nationale qui est aussi « culturelle ».2

L’extrême droite au Luxembourg

Le Luxembourg s’est longtemps vanté de ne pas avoir de parti d’extrême droite représenté dans le parlement, mais l’inclusion du Wee 20503 dans l’ADR4 a changé la donne. Cela a mis le parti « dans les eaux de l’extrême droite », selon les auteur·es d’une tribune dans le magazine Forumen 2023. Iels citent une série d’exemples démontrant que le parti a dépassé les limites du populisme de droite et doit être classé comme droite extrême.5

Suite aux élections, dans un autre numéro de Forum, Michel Pauly fait l’analyse suivante du contexte luxembourgeois:

« Le glissement vers la droite s’est plutôt produit au sein des partis : à l’ADR, un candidat est élu au centre, qui ne cache pas sa sympathie pour le national-socialisme, et le président de son parti estime que l’utilisation de tels symboles lui est « indifférente ». »6

Certain·es politicien·nes nient la droitisation de la culture politique luxembourgeoise. Dans un entretien dans le journal l’Essentiel au lendemain des élections législatives, l’ancien premier ministre Jean-Claude Juncker répond à la question sur la droitisation à l’échelle européenne par

« Je ne vois pas en quoi le paysage luxembourgeois serait passé de la gauche vers la droite. Le parti chrétien social n’est pas un parti de la droite tout comme les libéraux ne font pas un groupement droitier. Donc toutes ces pré-accusations, de voir un gouvernement de droite pure et dure s’installer relèvent d’une fantaisie malsaine. »7

Michel Pauly fait aussi référence au risque pour les jeunes de la libération de la parole des partis d’extrême droite :

« Si le parti [ADR] peut désormais proclamer depuis la tribune de la Chambre, à une heure de grande écoute télévisuelle, son amitié de plus en plus étroite avec l’extrême droite à la manière de l’AfD [Allemagne], de Fratelli d’Italia, du PiS [Pologne], des Démocrates suédois, de Vox [Espagne] et autres, et faire de la publicité pour l’autodéfense individuelle avec une arme à feu, le risque grandit certainement de voir encore plus d’électeurs, dont un nombre effrayant de jeunes qui ne savent apparemment pas comment les nazis sont arrivés au pouvoir par la voie démocratique, se laisser prendre à leurs mensonges et à leurs fausses promesses. »8

Le Luxembourg n’est donc pas une île et la montée de l’extrême droite le concerne bel et bien. Prétendre et situer les partis de droite au centre déplace le curseur et cache l’effet érosif d’un ADR à l’extrême droite. Les risques de ces idéologies pour l’écologie et les mouvements de lutte contre le changement climatique sont conséquents. L’ADR a fait campagne pour défendre le moteur à combustion, et un de leurs députés a écrit dans une tirade sur le réseau social X sur tout ce qui est d’extrême droite: « Si tu es pour le moteur à combustion: extrême droite » (Wanns de fir de Verbrennermotor bass: rietsextrem). Cette citation reflète bience que plusieurs chercheur·ses, dont Andreas Malm, appellent le « fascisme fossile ». En Allemagne, en Italie et dans beaucoup d’autres pays les forces d’extrême droite se positionnent comme les troupes de choc du capital fossile et sont celles qui se battent avec le plus d’agressivité pour le maintien du statu quo économique et politique. E Dans leur livre, les chercheur·euses du Zetkin Collective envisage deux scénarios qui permettraient l’apparition d’un « fascisme fossile »: 1. Les élites économiques conflueraient une sorte de « pacte » avec l’extrême droite pour préserver les intérêts de l’industrie fossile ou 2. La prolifération de « crises d’adaptation »: des catastrophes de plus en plus fréquentes déboucheraient sur « une catalysation du désir fasciste de se barricader », permettant ainsi l’accession de l’extrême droite au pouvoir. 9

Tentations conservatrices

La pensée écologique n’est pas épargnée par les tendances conservatrices. En Allemagne, la frange la plus extrême de l’AfD utilise de plus en plus l’explication « écologique » afin de justifier certaines propositions qu’elle défend sur le plan social, comme la fermeture des frontières. L’écofascisme, structuré par la pensée raciste, considère que l’identité d’un peuple est le fruit de son enracinement au territoire, et qu’il faut protéger cet écosystème des dangers de l’épuisement des ressources, de l’immigration et de la surpopulation. Les écofascistes prônent le repli sur soi à travers la construction de communautés alternatives écolo-patriotes. L’objectif est de se retrancher entre blanc·hes hétérosexuel·les pour construire des modes de vie en autosuffisance et reconquérir le territoire.

France, Pays-Bas, Italie, Allemagne, États-Unis, Argentine, Roumanie… on ne compte plus les pays où des partis d’extrême droite racolent avec le pouvoir ou dont les leaders gagnent des élections. Il faut cependant se poser des questions sur les électeur·trices : Est-ce que le vote d’extrême droite est un vote d’adhésion idéologique à un projet fasciste ? Est-ce qu’il est un vote antisystème face à une alternance politique de plus en plus illusoire où sociaux-démocrates, libéraux, conservateurs appliquent dans les grandes lignes les même orientations ? Il ne s’agit pas ici d’accuser des électeur·trices, mais bien de dénoncer ces partis qui n’offrent aucune réelle alternative aux populations délaissées. Il faut lutter contre l’augmentation des inégalités, la mise à mal de la démocratie, la décadence du débat par des médias corrompus, la non information de masse par les réseaux, la paupérisation qui sont le terreau actuel du vote d’extrême droite. Le social doit être au cœur des projets écologiques, les populations délaissées et les minorités doivent pouvoir s’y reconnaître. Les notions de justice sociale et de justice climatique doivent être traduites en actions concrètes.

Décoloniser et queeriser l’écologie

« L’écologie mainstream de gauche elle-même n’a pas encore déconstruit ses idées, ni ses pratiques » pointe Camille Fourinier, militante écoféministe, queer et anticolonialiste. Parfois trop focalisée sur l’environnement, elle néglige les conditions matérielles des humain·es, qu’il s’agisse de victimes de crimes coloniaux [..], d’habitant·es des quartiers populaires surexposés aux pollutions, ou femmes et personnes LGBT+ dont l’émancipation passe par le développement de techniques contraceptives, reproductives ou hormonales. Les mouvements écologistes doivent faire leur autocritique, identifier leurs points d’aveuglement et mettre au cœur de leurs revendications les luttes des minorités [la journaliste utilise le terme de minorité dans une perspective d’accès au pouvoir, parce que les femmes et les habitant·es des quartiers populaires ne sont pas des minorités en nombre], tout en garantissant l’autonomie politique de ces dernières.

Cela implique de mobiliser les penseur·euses des écologies queers, féministes et décoloniales pour déterminer clairement les termes de la lutte: de quelle nature parle-t-on ? Où est-elle en danger ? Comment la protéger contre ses oppresseur·euses ? « L’écologie politique doit absolument ouvrir le dialogue et faire sa mue sur ces sujets », estime Cy Leclerf Maulpoix10. […] il faut désormais être capable de faire front avec toutes les causes qui ont été initialement exclues du champ de l’écologie politique, pour la rendre véritablement émancipatrice et lutter contre l’ensemble des dominations à l’origine des destructions humains et écologique. »11

C’est ce que CELL tente de faire en invitant des penseur·euses comme Asmae Ourkiya12 qui lors de sa conférence aux Transition Days a remis en question les notions traditionnelles de déterminisme biologique et d’essentialisme qui ont été utilisées pour justifier les inégalités sociales. À l’aide de divers exemples, iel a démontré la diversité naturelle du vivant (humain et non humain) et le besoin d’embrasser cette diversité pour parvenir à l’équilibre écologique et à la justice sociale. Une autre penseuse inspirante est Fatima Ouassak13 qui émet le besoin de s’organiser et créer les espaces nécessaires : « Des espaces autonomes pour que les personnes les plus vulnérabilisées puissent se réfugier. (…) Pour se donner les moyens financiers de s’auto-organiser, notamment dans les territoires marginalisés. »14


Sources

https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pour-un-soulevement-antifasciste

https://www.forum.lu/article/plaedoyer-fuer-ein-cordon-sanitaire-gegenueber-der-adr/

https://www.emancipation.lu/post/un-front-populaire-peut-il-germer-au-luxembourg

https://www.forum.lu/article/mir-welle-bleiwe-wat-mer-waren/

https://reporterre.net/Enquete-sur-l-ecofascisme-comment-l-extreme-droite-veut-recuperer-l-ecologie

Extrêmes droites, résister en féministes, la lutte continue, La Déferlante n. 15, août 2024

Zetkin Collective, Fascisme fossile: l’extrême droite, l’énergie, le climat, La Fabrique, 2020

Umberto Eco, Reconnaître le fascisme, Grasset, 2017


Pour aller plus loin, les quatorze points caractéristiques de ce qu’Umberto Eco a nommé le fascisme éternel ou Ur-Fascisme:

Dans l’esprit d’Eco, ces attributs ne peuvent s’organiser en système, beaucoup sont contradictoires entre eux et sont aussi typiques d’autres formes de despotisme ou de fanatisme. Mais il suffit d’un seul pour que le fascisme puisse se concrétiser à partir de cet attribut.

1) La première caractéristique du fascisme éternel est le culte de la tradition. Il ne peut y avoir de progrès dans la connaissance. La vérité a été posée une fois pour toutes, et on se limite à interpréter toujours plus son message obscur.

2) Le conservatisme implique le rejet du modernisme. Le rejet du monde moderne se dissimule sous un refus du mode de vie capitaliste, mais il a principalement consisté en un rejet de l’esprit de 1789 (et de 1776, bien évidemment [Décalaration d’indépendance des États-Unis]). La Renaissance, l’Âge de Raison sonnent le début de la dépravation moderne.

3) Le fascisme éternel entretient le culte de l’action pour l’action. Réfléchir est une forme d’émasculation. En conséquence, la culture est suspecte en cela qu’elle est synonyme d’esprit critique. Les penseurs officiels fascistes ont consacré beaucoup d’énergie à attaquer la culture moderne et l’intelligentsia libérale coupables d’avoir trahi ces valeurs traditionnelles.

4) Le fascisme éternel ne peut supporter une critique analytique. L’esprit critique opère des distinctions, et c’est un signe de modernité. Dans la culture moderne, c’est sur le désaccord que la communauté scientifique fonde les progrès de la connaissance. Pour le fascisme éternel, le désaccord est trahison.

5) En outre, le désaccord est synonyme de diversité. Le fascisme éternel se déploie et recherche le consensus en exploitant la peur innée de la différence et en l’exacerbant. Le fascisme éternel est raciste par définition.

6) Le fascisme éternel puise dans la frustration individuelle ou sociale. C’est pourquoi l’un des critères les plus typiques du fascisme historique a été la mobilisation d’une classe moyenne frustrée, une classe souffrant de la crise économique ou d’un sentiment d’humiliation politique, et effrayée par la pression qu’exerceraient des groupes sociaux inférieurs.

7) Aux personnes privées d’une identité sociale claire, le fascisme éternel répond qu’elles ont pour seul privilège, plutôt commun, d’être nées dans un même pays. C’est l’origine du nationalisme. En outre, ceux qui vont absolument donner corps à l’identité de la nation sont ses ennemis. Ainsi y a-t-il à l’origine de la psychologie du fascisme éternel une obsession du complot, potentiellement international. Et ses auteurs doivent être poursuivis. La meilleure façon de contrer le complot est d’en appeler à la xénophobie. Mais le complot doit pouvoir aussi venir de l’intérieur.

8) Les partisans du fascisme doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la puissance de leurs ennemis. Les gouvernements fascistes se condamnent à perdre les guerres entreprises car ils sont foncièrement incapables d’évaluer objectivement les forces ennemies.

9) Pour le fascisme éternel, il n’y a pas de lutte pour la vie mais plutôt une vie vouée à la lutte. Le pacifisme est une compromission avec l’ennemi et il est mauvais à partir du moment où la vie est un combat permanent.

10) L’élitisme est un aspect caractéristique de toutes les idéologies réactionnaires. Le fascisme éternel ne peut promouvoir qu’un élitisme populaire. Chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde; les membres du parti comptent parmi les meilleurs citoyens; chaque citoyen peut ou doit devenir un membre du parti.

11) Dans une telle perspective, chacun est invité à devenir un héros. Le héros du fascisme éternel rêve de mort héroïque, qui lui est vendue comme l’ultime récompense d’une vie héroïque.

12) Le fasciste éternel transporte sa volonté de puissance sur le terrain sexuel. Il est machiste (ce qui implique à la fois le mépris des femmes et l’intolérance et la condamnation des mœurs sexuelles hors normes: chasteté comme homosexualité).

13) Le fascisme éternel se fonde sur un populisme sélectif, ou populisme qualitatif pourrait-on dire. Le Peuple est perçu comme une qualité, une entité monolithique exprimant la Volonté Commune. Étant donné que des êtres humains en grand nombre ne peuvent porter une Volonté Commune, c’est le Chef qui peut alors se prétendre leur interprète. Ayant perdu leurs pouvoirs délégataires, les citoyens n’agissent pas; ils sont appelés à jouer le rôle du Peuple.

14) Le fascisme éternel parle la Novlangue. La Novlangue, inventée par Orwell dans 1984, est la langue officielle de l’Angsoc, ou socialisme anglais. Elle se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.


1Sondage réalisé par ILRES pour RTL et le Wort en novembre sur un échantillon de 1.060 personnes https://www.rtl.lu/radio/newsbreak/s/5021319.html, https://infos.rtl.lu/actu/luxembourg/a/2258371.html

2Benichou Sarah, « La question du genre joue un rôle clé dans le discours raciste », dans Extrêmes droites, résister en féministes, la lutte continue, La Déferlante n. 15, août 2024

3 mouvement qui a émergé du référendum sur le droit de votes des résidents et des jeunes et le cumul des mandats et qui a fait campagne pour le NON

4Alternativ Demokratesch Reformpartei

5https://www.forum.lu/article/plaedoyer-fuer-ein-cordon-sanitaire-gegenueber-der-adr/

6 https://www.forum.lu/article/mir-welle-bleiwe-wat-mer-waren/

7https://www.lessentiel.lu/fr/story/legislatives-au-luxembourg-juncker-je-conseillerais-a-luc-frieden-de-negocier-avec-le-dp-880607053042

8https://www.forum.lu/article/mir-welle-bleiwe-wat-mer-waren/

9Zetkin Collective, Fascisme fossile: l’extrême droite, l’énergie, le climat, La Fabrique, 2020

10  Militant et journaliste indépendant, auteur de Ecologies déviantes

11Gilabert Christelle, Ecologie: les idéologies réactionnaires en embuscade, dans Extrêmes droites, résister en féministes, la lutte continue, La Déferlante n. 15, août 2024

12 chercheur·euse écoféministe

13 Essayiste et militante, auteure de Pour une écologie pirate

14Ouassak Fatima, Nous sommes les oiseaux de la riposte qui s’annonce, dans Extrêmes droites, résister en féministes, la lutte continue, La Déferlante n. 15, août 2024

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